La pollution du littoral par les algues sargasses fait la une de l’actualité en Martinique. Entre les photos et vidéos qui sont diffusées dans les médias pour montrer ce fléau environnemental, ou encore le buzz du « AZEROT challenge », ces algues brunes indésirables tiennent la vedette des conversations. Je ne vais pas répéter ce que tout le monde dit ou sait sur leur origine, leur historique, que c’est une catastrophe écologique… Je prendrai plutôt une approche scientifique pour parler de l’H2S, ce fameux gaz malodorant au coeur du problème sanitaire.

Qu’est-ce que l’H2S ?

L’H2S ou Hydrogène sulfuré, est un gaz relativement soluble dans l’eau (solubilité supérieure à celle du CO2), plus lourd que l’air (densité de 1,19 Kg/m³ en phase vapeur) et de caractéristique olfactive très marquée (odeur d’oeuf pourri).

En effet, lorsque la concentration en ions H+ augmente (diminution du pH), les sulfures évoluent sous la forme H2S selon la relation d’équilibre suivante : H2S <—>H+ + HS- <—> 2H+  + S2-

Et c’est donc sous la forme d’Hydrogène sulfuré, que les sulfures se dégagent dans l’air et occasionnent des problèmes d’odeur (oeuf pourri), de toxicité (gaz mortel à forte dose) ou de corrosion (attaque du béton et des métaux).

Quels sont les risques et les effets sur la santé ?

L’hydrogène sulfuré est un gaz toxique qui pénètre par les voies respiratoires. Il provoque :

  • Des intoxications aiguës (exposition de courte durée): troubles respiratoires, irritations oculaires, conjonctivites, vertiges, céphalées, œdème aigu du poumon, pertes de connaissance.
  • Des intoxications chroniques (exposition prolongée) : bronchites irritatives, irritations cutanées.
  • Des pertes de connaissance à partir d’une concentration de 500 ppm.
  • Une possibilité d’accident mortel très rapide, en cas de fortes inhalations (> 1000 ppm).

La toxicité de l’H2S est connue et documentée (OMS, 1981; INRS, 1997). Les valeurs limites d’exposition et les effets toxiques sont aussi scientifiquement prouvées et documentées. Alors il serait grand temps de s’interresser sérieusement, aux valeurs de toxicité et d’exposition chronique, liées à la pollution et la dégradation des sargasses, car il est certain que ce gaz a un impact néfaste sur la santé et sur l’environnement (naturel et urbain). Des études seraient en cours pour analyser l’effet de l’exposition chronique sur la santé (ANSES, ARS), mais on manque aujourd’hui de données toxicologiques, pour prédire les impacts sur la santé des populations exposées, de manière répétée, à l’H2S même à faible dose.

Je vous incite néanmoins à suivre les mesures et les données du réseau « Sargasses » de MADININAIR. Cette association est chargée de mesurer, d’analyser, d’informer, d’alerter sur la qualité de l’air et les polluants atmosphériques (http://www.madininair.fr/Mesures-du-reseau-Sargasses)

Comment se débarrasser de l’H2S ?

Le phénomène de formation de l’H2S est très connu dans les réseaux d’assainissement (mécanisme de réduction des sulfates par les bactéries sulfitoréductrices, réduction des sulfites en hydrogène sulfuré…), notamment lors du déversement des eaux résiduaires industrielles (ERI) riches en sulfates (abbatoirs, industries…). Il existe des études sur l’influence des biofilms dans les tuyaux d’assainissement, des théories et des formules de prévision pour limiter les facteurs précurseurs de la formation d’H2S… Enfin bref, toute une bibliographie!

De plus, les mécanismes de corrosion du béton et des métaux (surtout Fer et cuivre) liés à l’acide sulfurique (H2SO4 résultant de l’oxydation de l’H2S) posent de réels problèmes, au niveau des conduites d’assainissement, de la serrurerie et des autres ouvrages de génie civil. A cela s’ajoute les nuisances olfactives (à l’origine de nombreuses plaintes des riverains) et la toxicité pour le personnel d’exploitation, dont les consignes de sécurité sont strictes (port obligatoire d’un masque avec cartouche adaptée et détecteur portatif d’H2S).

Pour lutter contre la formation d’H2S, plusieurs méthodes sont recommandées soit à titre préventif, soit à titre curatif :

  • Approche préventive : il s’agit de lutter contre les mécanismes d’oxydo-réduction, contre les biofilms (chargés en bactéries sulfitoréductrices anaérobies) par l’ajout d’oxydants ou de nitrates (ajout de nitrate de Calcium CA(NO3), insufflation d’oxygène, ajout de réactifs comme le peroxyde d’hygdrogène ou le chlore).
  • Approche curative : Il s’agit de réaliser des traitements par des sels métalliques (injection de chlorure ferrique FeCl3, de sulfate ferreux FeSO4) ou par réactif oxydant (chlore).

Ces traitements ont bien évidemment un coût et aussi des inconvénients, comme par exemple l’augmentation de la production de boues d’assainissement. L’H2S est donc un gaz nuisible et toxique, dont les mécanismes de formation et les traitements sont bien connus.

Dans le cas des sargasses, le phénomène n’est pas nouveau, mais très mal géré aujourd’hui, par manque d’anticipation, d’insuffisance de moyens et de mesures préventives efficaces. Des actions de ramassage, de nettoyage ou de valorisation ont été menées et d’autres projets sont aussi en cours de test ou d’étude, mais l’ampleur du phénomène reste incontrôlable.

L’Etat français vient enfin de lancer ce 11 juin 2018, un plan d’actions nommé PULSAR (Plan d’Urgence Local SARgasses) assorti de financements et de mesures échelonnés jusqu’en 2019, visant à lutter contre ce fléau à court et moyen terme. A l’instar des plans POLMAR, pour les interventions en cas de pollution accidentelle des milieux marins, l’état, les régions, les collectivités et aussi les citoyens devront agir ensemble pour mettre en oeuvre les différentes actions et mesures. Donc affaire à suivre…

 

Pour aller plus loin : 

http://www.martinique.pref.gouv.fr/content/download/10975/83837/file/Sargasses%20Questions%20Def.pdf

 

Sources: A. SADOWSKI, Article dans Techniques – Sciences – Methodes · January 2012; ANSES, Avis n° 2011-SA-0225 ; INRS, Fiche toxicologique n°32;

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